Ceux qui l’ont vue au cinéma dans Les géants de Bouli Lanners n’ont pas pu effacer sa bouille de leur mémoire. Sa gueule, devrait-on dire, tant elle y affiche une mine terrifiante, aussi accueillante que les crocs des bouledogues qui montent la garde de sa triste caravane.
Gwen Berrou a d’ailleurs récolté le Magritte du meilleur second rôle pour cette sombre interprétation. C’est pourtant par un stage de clown, à l’âge de huit ans, que la jeune Bretonne a pris goût au jeu et au plaisir de faire rire les gens.
Depuis son passage au Conservatoire de Bruxelles, elle a élu domicile en Belgique où elle promène son visage atypique sur des projets très variés : Bal Trap et Yvonne princesse de Bourgogne avec la Compagnie Chéri-Chéri ou encore La trilogie de Belgrade avec la Compagnie Petite Ame.
Aujourd’hui, avec la reconnaissance que lui a apporté Les géants, elle multiplie les castings. On la verra notamment dans le film de Marion Hänsel, La tendresse.
Mais elle ne lâche pas la scène pour autant. Au contraire, elle l’agrippe par tous les bouts puisqu’on la retrouve à l’écriture, à la mise en scène et à l’interprétation de Fall into the show, spectacle entre théâtre et performance pour parler d’amour et de chute.
C’est l’histoire d’une femme qui, parce qu’elle a peur de tomber, décide justement d’éprouver la chute de toutes les manières possibles. « Il y a dans la chute une confrontation ridicule, un manque de sérieux que je trouve très sain. »
On imagine que la comédienne a collectionné les bleus dans la préparation de ce spectacle dans lequel elle s’impose une série de chutes, qu’elles tiennent de la cascade physique ou de la dégringolade plus métaphorique.
« Quand on tombe amoureux, on perd une certaine clarté, on s’oublie, on est dépossédé de soi-même. » La dépossession au contact d’autrui, la perte des illusions, le deuil, Fall into the show choisit de choir à foison. Tomber des nues, tomber en pâmoison, tomber enceinte : la cascade artistique est au menu de ce seul en scène sportif.
« Je ferai vaciller mon identité, je la ferai tomber de tous les côtés, je succomberai à tous les pièges, j’assumerai toutes les gamelles », annonce d’emblée la comédienne dans un décor lui-même propice à toutes sortes d’avalanches. D’ailleurs, pour se mettre illico en danger, elle convie les spectateurs, en prélude, à un jeu de hasard qui déterminera la teneur de la soirée.
Elle joue de ce contact direct pour construire son récit avec les spectateurs. Une manière aussi de casser tout de suite la barrière entre le public et la scène. « J’aime abolir les frontières entre l’art et la vie. » Si le spectacle flirte avec le hasard, la spontanéité et le partage, il y aura tout de même quelques filets de sécurité textuels, comme des extraits de l’Eloge de l’Amour d’Alain Badiou, Belle de Seigneur d’Albert Cohen ou encore du Phèdre de Racine.
Ce qui compte pour Gwen Berrou, c’est de casser les codes, laisser la place au hasard : « Fall into the Show est assez souple pour accueillir les changements d’inspiration, d’humeurs, d’interprétation. » Pour l’amour du risque, elle met ici l’intimité en péril. Après tout, Shakespeare disait qu’une chute profonde mène souvent vers le plus grand bonheur.