Dominique Mussche
Romancier et poète, François Emmanuel aborde aussi depuis une dizaine d’années l’écriture théâtrale. On se souvient de ses deux pièces créées en 2014 au Poème 2 : Contribution à la Théorie Générale et Joyo ne chante plus (déjà avec la comédienne Gwen Berrou et le metteur en scène Pascal Crochet) qui obtient le Prix de la critique2014 dans la catégorie » Seul en scène « .
Quatre lits superposés, dans la pénombre. Quatre femmes, dont l’une, couchée, restera muette et quasi immobile jusqu’à la fin. Des premiers mots surgissent, venus d’un mystérieux ailleurs, des phrases incohérentes, des gestes inaboutis. Nous sommes dans un hôpital psychiatrique. Nin (Gwen Berrou), Mo (Leone François), et Percie (Isabelle Wéry) se dévoilent peu à peu à travers leur langage. La première vit dans un monde aux références opaques, connues d’elle seule, la deuxième semble enfermée dans ses obsessions et ses peurs, et peine à trouver les mots pour les exorciser. Percie, la troisième, la plus loquace, se libère au contraire par la parole, pour endosser une série de rôles, dont principalement celui d’un psychiatre, le docteur Gottschelling, figure ambigüe, détenteur du pouvoir et maître de leur sort. Son ascendant sur ses compagnes est évident et c’est elle qui va mener jusqu’au bout un jeu qui va les bouleverser toutes. Qui est cette » nouvelle » – qu’elles appellent Madame -, en apparence profondément endormie? D’où vient-elle, pourquoi les a-t-elle rejointes ? Rusée et curieuse, Percie propose de fouiller la valise de l’inconnue pour découvrir son secret. Lettres, ordonnances … Peu à peu, au fil de cette mise à nu, l’histoire de Madame servira aux trois autres de révélateur et leur donnera les clés pour mettre au jour leur passé enfoui. Percie aura déclenché, en quelque sorte, un processus presque …psychanalytique !? Et au bout de la nuit, malgré la violence de son acte, Madame trouvera consolation auprès de ses compagnes.
Marqué par son travail de psychanalyste, François Emmanuel poursuit son exploration du langage, telle qu’il l’avait initiée dans Contribution à la théorie Générale et Joyo ne chante plus. C’est le langage de la fêlure qui l’intéresse, celui qui échappe au contrôle de la raison et du conformisme social, et plus particulièrement ici celui de la folie. On est à la fois séduits par la beauté et la poésie de ces mots » bruts » (comme on parle d’art » brut « ) et touchés par la détresse dont ils sont porteurs. Et il faut souligner le talent des trois comédiennes » parlantes » qui incarnent, avec un formidable naturel, aussi à travers leur corps, ces femmes enfermées dans la chambre intérieure qu’elles se sont construite pour fuir le monde. On retrouve, aux côtés de François Emmanuel, le regard fidèle de Pascal Crochet, son art de diriger les acteurs et son regard d’esthète.
Les Consolantes : un spectacle bouleversant sur la folie, un regard tendre sur les femmes, et une écriture remarquable qui s’aventure de plus en plus loin dans l’exploration de l’indicible.
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« Hé, t’es qui toi ?” – “T’es la fille à sa ‘Môman’ !” – “Ouais ! T’es la fille à sa Môman’ !” Dans la salle de gym d’un collège, ils sont cinq copains de la classe de 4e, cinq potes d’une bande – quatre filles et un garçon –, cinq ados comme on en croise tous les jours. Si ce n’est qu’ils ont fait de “la fille à sa Môman” – Camille – leur tête-de-turc, leur bouc-émissaire.
Gamine fleur bleue longue et maigrelette, Camille (incarnée par Fiona Willemaers) rêve de plages, de ressacs, de l’océan Pacifique. “C’est une jeune fille très fermée, comme bien d’autres, la décrit sa titulaire. Elle s’est elle-même mise dans cette situation”.
“Cette situation”, la toute nouvelle création “Mouton noir” d’Alex Lorette la tisse au fil d’un texte fluide et teinté d’humour où s’entremêlent préoccupations adolescentes (l’amour, l’avenir, l’apparence physique, les réseaux sociaux,..), désarroi parental et négation de l’équipe pédagogique.
Entre une mère (Gwen Berrou) obsédée par ses séances d’aérobic et le boucher du coin (interprété avec drôlerie par Lucas Meister) – “quand vous mangez, la vie vous sourit, c’est votre boucher qui le dit” – et sa bonne amie Mila (Ophélie Honoré) qui tente de lui ouvrir les yeux – “pourquoi tu fais ta victime ?” –, Camille voit l’étau du harcèlement se resserrer peu à peu sur elle. Des insultes verbales – “pauvre tache”, “grosse cochonne”, “bouffonne” – et sur les réseaux sociaux – “tu fais quoi ce soir ?/t’es une chaudasse/salope/tu réponds plus grosse pute ?” – aux menaces physiques et de mort – “si tu viens demain, on te crève” – Camille n’aspire plus qu’à “partir”…
La jeune fille montre bien des signes de détresse – elle mange de moins en moins, ses notes baissent,.. –, mais, sa mère ne voit rien venir. Et les appels à l’aide de Camille au sein de l’école restent vains, direction et corps professoral préférant minimiser les faits et préserver la réputation de l’établissement.
Face à cette grave thématique de société, la grande force de la pièce est de présenter en parallèle l’histoire d’Albi, petite truie albinos, “blanche parmi les roses” au sein d’un élevage industriel. La mise en scène signée, pour la première fois en théâtre, par Clément Thirion, apporte un agréable souffle de légèreté en alternant le quotidien de Camille avec des scènes chantées par Albi (Sarah Espour), condamnée à survivre parmi ses congénères hostiles en attendant de finir en rôti. Le passage d’une scène à l’autre étant habilement orchestré par un jeu de néons acidulés.
Commentaire de Jean-Marie Wynants à l’émission 50°Nord : Cliquez ici
Commentaire et interview dans « Le Grand Charivari » : cliquez ici
Déroutant mais brillant, ainsi peut-on résumer ce Fall into the show. Partant sur les bases formelles d’un one-woman-show traditionnel, la comédienne Gwen Berrou casse la frontière des genres pour offrir un produit parfaitement homogène. Oscillant entre improvisation, jeu classique et performance, ce délicieux spectacle divertit par son humour, étonne par sa créativité et emporte définitivement dans l’intimité d’une femme en proie à la chute permanente. Une variation sur la décadence humaine que l’on recommande chaleureusement.
Critique du spectacle dans l’émission « La conspiration des planches » sur Radio Campus : Cliquez ici
A 33 ans, Gwen Berrou présente sa première création perso. Fall into the show. Le sujet? La chute de l’amour et du hasard: « Je suis une fan de l’amour, ok, mais je l’aborde par la chute, le danger de se perdre dans l’autre, un truc poreux qui enserre, qui m’interpelle. La chute, c’est une illusion qui dégringole, un peu comme l’impression que la vie va durer tout le temps avant que la mort te rattrape… »
Bien foutu, le solo, à la croisée du théâtre et de la performance, se connecte au public, passe par un prologue cocasse sur l’art, fait débarquer Phèdre de Racine, amène Gilgamesh, pose L’Eloge de l’amour d’Alain Badiou. Du propos sans y toucher, qui vous caresse, dans une forme allègre, truffée de poésie. Ainsi, une robe lui tombe littéralement dessus qui la fait glisser illico dans Belle du Seigneur! Elle dialogue sur l’amour, couteau en main, égrène toutes sortes de chutes en se cassant la figure à foison! Et le décor suit le mouvement. Un théâtre physique, qui renouvelle son univers.
Flash-back.
Une dame vient introduire la soirée, explique au public autour de quoi l’on se réunit. Un jeu de hasard qui bientôt démarre. Gwen Berrou se mue alors en « cette femme qui, parce qu’elle apeur de tomber, décide de trouver toutes les façons possibles de tomber pour exorciser un peu sa peur ».
Partant du thème de la chute, Gwen Berrou invite le public à une expérience aussi étonnante qu’amusante entre jeu de hasard et performance de comédienne sur le fil du rasoir. Drôle mais aussi émouvant et surprenant. Un objet théâtral hors du commun.